«Cette prostituée qui tire le juge par la manche…»

« N’écoutez pas l’opinion publique qui frappe à la porte de cette salle. Elle est une prostituée qui tire le juge par la manche, il faut la chasser de nos prétoires, car, lorsqu’elle entre par une porte, la justice sort par l’autre », prononçait dans sa plaidoirie, en 1976, Me Paul Lombard, avocat de Christian Ranucci, l’un des derniers condamnés à mort en France et finalement exécuté.

Dans cette plaidoirie, publiée dans «les Grandes Plaidoiries des ténors du Barreau», recueillies par le journaliste de «l’Obs», Matthieu Aron, Me Paul Lombard avocat au barreau de Marseille puis au barreau de Paris, s’adressait aux jurés leur demandant : «N’écoutez pas non plus la rumeur ignoble».

 Me Paul Lombard laissait ainsi entendre que la Justice devrait fonctionner sur le principe de la raison, qui est plus rassurante pour trancher et rendre la justice. Aujourd’hui, les réseaux sociaux et certains traitements médiatiques ne laissent aucune place au «principe du contradictoire», malmenant, du coup, la présomption d’innocence.

En fait, des internautes sur les réseaux sociaux et certains médias, surfant sur la vague du sensationnel et du passionnel, primant l’audimat et le buzz sur la véracité de l’information, marchent sur la voie de se substituer à la justice. Ils accusent et condamnent une personne avant même d’être mise en examen et renvoyée devant une juridiction compétente. Ces voix parlent au nom de l’opinion publique.

Alors que, semble-t-il, «l’opinion publique n’existe pas» [Bourdieu, 1973]. «Cette opinion publique est un artefact pur et simple», avait-t-il souligné. Bien avant cette réflexion du sociologue français, Pierre Bourdieu, des scientifiques réunis durant quelques jours aux USA pour définir le concept de «l’opinion publique» ont conclu leur rencontre par la recommandation d’éviter l’emploi du vocable. «Il est impossible d’offrir une définition standardisée de l’opinion publique. Par conséquent, il est préférable, si possible, d’éviter l’emploi du terme», avaient recommandé ces scientifiques américains réunis en congrès en 1924.  

Mais, plus tard, les politiques ont mis à profit la formule des sondages pour exploiter ce vocable de «l’opinion publique», qu’on retrouve partout, tout le temps, et sous différentes formes. Elle s’impose, se mesure et reste mobilisée dans tous les champs de la société. Elle est orientée dans un but politique, celui de garder un contrôle sur les populations… Mais pas sur la Justice. Car, «Seule la justice est garante de la paix», dit-on.

B.A