Jardins Exotiques de Bouknadel, ou la géographie enchantée du monde végéta

Par Houda Elfchtali
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Il est des jardins qui dépassent la simple idée d’un espace vert. Des lieux qui ne sont pas seulement faits de terre, d’eau et de chlorophylle, mais tissés de mémoire, d’utopie et de poésie. 

À quelques kilomètres de Rabat, là où l’Atlantique caresse la rive de Salé, les Jardins Exotiques de Bouknadel déroulent leur carte végétale du monde.

J’y suis allée cette semaine, portée par le souffle d’un printemps silencieux. Et j’en suis revenue émerveillée, comme si j’avais effleuré l’échine secrète de la planète. Bouknadel ne se donne pas tout de suite ; il se dévoile en pas feutrés, comme un livre ancien qu’on feuillette avec respect.

Le rêve commence en 1952, sous les mains savantes de Marcel François, ingénieur horticole français amoureux du Maroc. Pendant plus de trois décennies, il compose ici un jardin-monde, mêlant essences d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud, et des îles lointaines. Il y installe non pas un fouillis végétal, mais une pensée vivante, une architecture du voyage. Chaque allée est un sentier de mémoire botanique, chaque feuillage une lettre dans l’alphabet de la biodiversité.

Mais le temps, parfois, oublie les plus beaux lieux. Après la disparition du maître jardinier, Bouknadel s’efface, se fane, se tait. Il faudra attendre 2005, et la vision généreuse de Son Altesse Royale la Princesse Lalla Hasnaa, pour que le lieu renaisse sous le signe de l’écologie éclairée.

Présidente de la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement, la Princesse redonne souffle et lumière à ce paradis menacé. Le projet ne vise pas une simple rénovation, mais une renaissance fidèle. Les allées sont réinventées sans trahir l’esprit initial, les essences sont sauvegardées, et de nouveaux espaces pédagogiques viennent enrichir le site. Bouknadel devient alors un jardin intelligent, un musée vivant, un lieu d’apprentissage pour tous les âges.

Trois axes structurent cette symphonie végétale :

Les Jardins Nature, où s’embrassent forêts tropicales, zones humides, paysages désertiques et plantes médicinales.

Les Jardins Cultures, évocations sublimes des civilisations du monde – du zen japonais à l’harmonie andalouse.

Les Jardins Didactiques, où l’on comprend, sans dogme, que la planète est un être sensible à protéger.

Marcher dans ces jardins, c’est se reconnecter au temps long, à la lenteur fertile, à la beauté fragile du vivant. Sous les ombres géométriques des bambous géants ou dans l’éclat d’un lotus, l’enfant en soi se réveille. On observe, on écoute, on ressent. On comprend que la terre ne nous appartient pas, mais qu’elle nous accueille, avec patience, comme un jardinier attend la floraison.

Et c’est peut-être cela que j’ai le plus retenu de cette visite : ce sentiment d’union douce entre l’humain et la nature, cette géographie invisible des liens. Dans une époque troublée, Bouknadel est un rappel, délicat mais ferme, que la beauté sauvera ce qui peut l’être, si elle est portée par des gestes conscients.

Et tandis que je quittais ce jardin aux mille parfums, mes pensées ont doucement glissé vers un autre écrin, plus intime, plus familier : le Jardin Lahboul de ma ville natale, Meknès. Avec ses colonnades paisibles, ses cygnes endormis, ses soirées animées par des concerts d’ici et d’ailleurs et ses festivals d’arts du monde, Lahboul est mon enfance végétale, mon théâtre d’émerveillement premier. Là où j’ai appris, bien avant Bouknadel, qu’un jardin peut être un refuge, un souffle, une scène et un poème à ciel ouvert. Ainsi va la vie : d’un jardin à l’autre, le monde se relie dans le silence feutré des feuilles.