Disparition mystérieuse de Tebboune : l’Algérie dans le brouillard

Par Mme Houda Elfchtali

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Alger retient son souffle, suspendue à un silence devenu assourdissant. Depuis le 4 août 2025, le président Abdelmadjid Tebboune n’a plus fait d’apparition publique. Près d’un mois d’absence, et toujours aucun signe tangible. L’homme de 79 ans, élu en décembre 2019 après une présidentielle marquée par un fort taux d’abstention (à peine 40 % de participation officielle) s’efface aujourd’hui dans une opacité qui rappelle aux Algériens de lourds souvenirs.

La communication officielle, au lieu de dissiper les doutes, les entretient. Les télévisions publiques diffusent encore des images anciennes pour suggérer une activité présidentielle, mais aucun visuel récent ne vient confirmer l’état de santé du chef de l’État. Des rumeurs persistantes, affirmant qu’il aurait été hospitalisé en Allemagne, ont été démenties, sans convaincre. Plus le pouvoir se tait, plus il nourrit les soupçons.

Entre-temps, les secousses institutionnelles ne se sont pas fait attendre. Le 28 août, le Premier ministre Nadir Larbaoui a été brusquement limogé. À sa place, le ministre de l’Industrie, Sifi Ghrieb, a été nommé à titre intérimaire. Un geste inédit qui révèle la fragilité d’un système où la disparition du président provoque des réajustements précipités. L’Algérie se retrouve ainsi à la croisée de deux incertitudes : celle de son chef invisible et celle d’un gouvernement remanié dans l’urgence.

Dans ce vide, les rumeurs règnent en maîtres. Elles circulent de bouche en bouche dans les cafés d’Alger, se propagent à grande vitesse sur les réseaux sociaux, où chacun fabrique sa propre vérité. On l’imagine en soins intensifs, on le dit rétabli, on assure qu’il est rentré discrètement au pays. Le pouvoir se tait, et c’est le peuple qui écrit le récit. Dans ce pays où l’humour populaire est une arme, on ironise déjà : « Un président fantôme gouverne mieux qu’un président absent », entend-on parfois dans les ruelles.

Mais derrière l’ironie, c’est la mémoire collective qui refait surface. Beaucoup se souviennent de la fin de règne d’Abdelaziz Bouteflika, invisible pendant des années, réduit à l’image d’un fauteuil roulant diffusé à de rares occasions. Aujourd’hui encore, le corps absent du chef de l’État devient une question politique. L’Algérie attend une preuve de vie comme on attend une vérité simple, claire, sans mise en scène.

Au-delà des frontières, ce silence inquiète. Les partenaires régionaux observent l’opacité algérienne avec circonspection. Rabat, Paris, Berlin, Washington : tous scrutent Alger, cherchant à comprendre qui prend réellement les décisions dans un pays clé pour la stabilité du Maghreb et de la Méditerranée. L’Algérie, deuxième producteur africain de gaz, se tait alors que sa voix est attendue.

Près de trente jours de mutisme officiel, un Premier ministre écarté, un gouvernement en suspens, et un peuple condamné à spéculer : la scène ressemble à une pièce dont l’acteur principal a quitté la scène mais dont le rideau reste obstinément fermé. Dans cette dramaturgie du pouvoir, l’Algérie n’attend pas un miracle mais une clarté. Car dans ce théâtre où les vieilles images remplacent la réalité, une évidencev s’impose : le silence du président continue de parler plus fort que tous les discours.