A Fès, le cuivre martelé d’Ain Nokbi perpétue un savoir-faire ancestral

Par Mehdi Nouri (MAP)

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Dans le quartier artisanal d’Ain Nokbi, à Fès, un rythme familier résonne sous les toits en tôle des ateliers : celui du marteau frappant le cuivre. Une cadence aussi ancienne que la ville elle-même, transmise de génération en génération, et que Redouan, artisan dinandier, perpétue depuis près de quarante ans.

Installé dans un atelier baigné de lumière, Redouan donne vie à des feuilles de cuivre rouge et jaune, les transformant en objets d’art décoratifs ou fonctionnels : lustres, plateaux, appliques murales ou fontaines.

« J’ai commencé à travailler le cuivre à l’âge de 12 ans. Avant, j’étais installé à Bensouda, dans un petit atelier sans lumière ni ventilation. Les conditions étaient très dures », confie-t-il à la MAP, le regard attentif sur une pièce en cours de finition.

« Ici, à Ain Nokbi, tout a changé. Nous avons de l’espace, de meilleurs outils, et surtout, de la reconnaissance », se réjouit-il.

Le Pôle artisanal d’Ain Nokbi, inauguré en 2013 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, est aujourd’hui l’un des fleurons de la politique nationale de modernisation du secteur de l’artisanat.

Conçu pour regrouper les artisans dans des locaux professionnels conformes aux normes de sécurité et d’hygiène, il a nécessité un investissement global de plus de 332 millions de dirhams, dont près de 140 millions financés par la Millennium Challenge Corporation (MCC) dans le cadre d’un partenariat maroco-américain.

Le site, situé à la périphérie de Fès, regroupe plusieurs dizaines d’ateliers spécialisés dans les métiers du cuivre, du bois, du fer forgé ou encore de la poterie. Mais c’est la dinanderie – cet art du martelage du cuivre – qui y brille particulièrement. Dans les ateliers, les artisans suivent toutes les étapes de production : découpe, chauffage, formage, gravure, polissage, vernissage, jusqu’au montage électrique pour les pièces lumineuses.

« La technologie n’est pas absente. Les motifs sont souvent dessinés à l’ordinateur avant d’être reproduits manuellement », précise-t-il.

Le dessin assisté nous aide à gagner du temps et à respecter des proportions parfaites, mais c’est toujours la main de l’artisan qui donne vie à l’objet », explique Redouan, ajustant les motifs géométriques d’un grand lustre suspendu.

Dans chaque pièce, le style marocain s’exprime avec force : arabesques ciselées, mosaïques éclatantes, frises andalouses. Le cuivre, depuis des siècles, est une matière première précieuse pour les artisans marocains. Travaillé depuis l’époque du bronze, il fait partie intégrante du patrimoine culturel et matériel du pays.

Outre l’amélioration des conditions de travail, le pôle d’Ain Nokbi a un rôle écologique majeur. Il a permis de réduire drastiquement la pollution artisanale dans la médina de Fès, en limitant les rejets d’eaux usées et de métaux lourds vers l’oued Sebou. Le projet a également créé un environnement propice à la transmission des savoir-faire à la nouvelle génération.

« Nous recevons régulièrement de jeunes apprentis. Certains sont formés par des maîtres artisans, d’autres viennent des instituts spécialisés. A Ain Nokbi, ils apprennent avec de bonnes conditions », témoigne un encadrant du site.

« L’objectif est de préserver ce métier, sans qu’il reste figé. On veut qu’il évolue, qu’il attire les jeunes », dit-il.

Dans les allées du pôle, plusieurs jeunes travaillent à l’établi, concentrés sur la reproduction d’anciens motifs fassis. D’autres testent des formes plus contemporaines, inspirées de l’art moderne ou des tendances de l’architecture intérieure. Cette coexistence de tradition et de modernité est au cœur de la vision portée par le programme MCC, qui vise à allier sauvegarde patrimoniale et innovation.

Les produits fabriqués à Ain Nokbi ornent aujourd’hui maisons, riads, hôtels, institutions et mosquées, au Maroc comme à l’étranger. Le savoir-faire de Fès attire désormais des designers internationaux en quête d’authenticité. Le site a ainsi accueilli, ces dernières années, des partenariats avec des écoles d’art et des commandes spéciales pour des expositions ou événements culturels.

« Nous avons réalisé des pièces pour des clients aux Emirats Arabes Unis, en France, et même au Japon », indique avec fierté pour sa part M. Alami, un autre maalem installé depuis des années dans ce site artisanal.

« Le cuivre marocain est apprécié pour sa finesse, ses motifs et sa qualité de fabrication. Ce que nous faisons ici, c’est de l’art pur », détaille-t-il.

Grâce à des infrastructures modernes, un appui institutionnel et une volonté de transmettre, l’art du cuivre à Fès ne se contente plus de survivre. Il renoue avec son rayonnement historique et s’inscrit pleinement dans la dynamique de développement durable, culturel et économique que connaît la région.

À Ain Nokbi, chaque coup de marteau est une note de mémoire. Chaque pièce achevée est un hommage silencieux à un artisanat séculaire, que Fès, capitale spirituelle et artistique du Royaume, continue de faire briller de mille et un reflets cuivrés.