« Le bal des hyènes »

Par Mme Houda Elfchtali
Elles étaient là, ricanantes, fardées, grotesques. Sous le masque moisi de l’hypocrisie, les hyènes ont fini par se serrer les pattes. La laideur morale, cette vieille infamie au pelage crasseux, a toujours su flairer ses semblables. On ne s’étonne plus de les voir copuler en public dans une étreinte de boue, s’applaudir à coups de flatteries creuses, et se tresser des couronnes d’ordure en guise d’honneurs.
Leur pacte n’est pas une alliance : c’est un accouplement d’intérêts minables, une parade nuptiale entre ratés de l’éthique. Ils s’offrent l’un à l’autre comme deux miroirs fêlés qui refusent de refléter autre chose que leur misère commune. Il n’y a pas de loyauté dans leur geste, pas d’intelligence dans leur manège; juste un instinct bas, animal, de survie dans le fumier moral.
Car ces créatures se reconnaissent à l’odeur. Leur hypocrisie ne sent même plus le mensonge : elle pue la nécessité. Se trahir, se salir, s’entraider à condition de se détruire ensuite; c’est là leur code. Leurs conversations sont des vomissements polis. Leurs sourires, des grimaces étirées par l’intérêt. Et leurs accolades, des pactes d’indignité scellés avec des pattes gluantes de rancœur.
Psychologiquement, ces alliances sont la planche de salut des médiocres. Ceux qui ont échoué à devenir des êtres entiers préfèrent se souder entre moignons. Ils n’ont pas d’épaisseur, alors ils se collent. Ils n’ont pas de grandeur, alors ils s’agrègent comme des algues dans les coins humides du vide, du mensonge ou de la jalousie. Leur solidarité n’est que la terreur partagée d’être démasqués.
Mais ce qu’ils ignorent, c’est que même les hyènes les plus rusées finissent par mordre la mauvaise gorge. Car dans ce carnaval de la lâcheté, on se dévore entre traîtres. Aujourd’hui, on se serre les pattes. Demain, on se crache dessus en toute impunité. Le même pelage, oui, mais des crocs affûtés par la peur de tomber seuls.
Le philosophe aurait tort de mépriser ce spectacle. Il faut le regarder, l’observer, l’analyser. Non pour s’en abaisser, mais pour s’en vacciner. Car là où ces bêtes s’ébrouent, l’âme droite doit s’absenter. Pas fuir, s’élever. Le silence digne face à la mascarade vaut mille dénonciations.
La hyène, au fond, n’a pas changé. Elle a juste appris à porter un costume. Et parfois, elle trône même sur des scènes honorables. Mais sa vraie nature ressurgit toujours, dans un rictus, une flatterie trop insistante, une alliance trop rapide. Alors, le masque tombe, la patte se tend, et le cirque reprend. Toujours le même. Toujours aussi lamentable.
Comments 0