Quand l’art vaut plus qu’une medaille

Par Mme Houda Elfchtali

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Le 10 juillet 2025, une lettre part du ministère français de la Culture. Officielle, timbrée, enveloppée de reconnaissance républicaine. Elle propose à la cinéaste Stéphane Mercurio de devenir Chevalier des Arts et des Lettres. Une médaille, un hommage, un ruban vert et blanc
comme un remerciement à tant d’années de cinéma documentaire, discret et engagé.

Mais la réponse de la réalisatrice ne se fait pas attendre. Sobre. Digne. Et surtout, négative.

 » J’ai toujours travaillé à filmer ceux qu’on ne décore jamais. Il serait incohérent d’accepter une médaille au nom de récits qu’on ne regarde même pas. » Voilà. Ce refus, elle ne l’a pas crié, elle l’a écrit Comme elle filme : sans effets, sans égo, mais avec une vérité nue. Un « non » sans scandale, sans acrimonie. Mais un « non » droit. Un « non » qui résonne au-delà des murs du ministère.

Depuis plus de trente ans, Mercurio filme les invisibles. Son œuvre « À côté » (2008), « À l’ombre de la République » (2012), « Après l’ombre »(2018)… est un long compagnonnage avec les voix étouffées, les oubliés du système, les prisonniers, les précaires. Son cinéma, à hauteur d’humain, ne cherche pas les projecteurs. Accepter une médaille, c’était peut-être rompre le pacte silencieux qu’elle a tissé avec ceux qu’elle filme.
« On me demande aujourd’hui de représenter une culture que je n’ai cessé d’interroger. »

Ce geste pourrait sembler anodin. Il est tout le contraire. Il renoue avec une forme rare d’héroïsme : celui de la cohérence. Et ce geste, sans le vouloir, déborde des frontières de la France. Il flotte, il voyage, il vient frôler d’autres ministères plus au sud peut-être où l’on décore beaucoup, mais où l’on écoute peu. Où l’on félicite sans lire, où l’on distribue des médailles comme on poserait un vernis sur des fissures profondes. Dans certaines régions, la culture est encore perçue comme un ornement d’État, un outil de communication. On inaugure des bustes et des salons, mais on laisse se dégrader des bibliothèques. On célèbre les morts célèbres, mais on néglige les vivants talentueux. On remet des trophées, mais on ne tend pas l’oreille.

Le refus de Stéphane Mercurio, sans prétention ni mise en scène, nous tend un miroir. Il nous rappelle que l’art n’a pas besoin d’être orné pour être honoré. Que l’artiste n’a pas besoin d’être décoré pour exister. Et qu’il est peut-être temps de penser la culture non plus comme un luxe ou une vitrine, mais comme une urgence vitale, une nécessité humaine. Mercurio, en refusant une distinction prestigieuse, n’a pas tourné le dos à la culture : elle l’a regardée droit dans les yeux.

Et peut-être est-ce cela, au fond, la plus grande des décorations : être fidèle à sa parole.