Sabiha Kadmiri : l’art comme transmission vivante

Dans le paysage artistique marocain contemporain, rares sont les figures qui conjuguent avec autant de constance et d’éthique la création et la transmission que l’artiste plasticienne et pédagogue Sabiha Kadmiri. Son parcours exemplaire, enraciné dans une double exigence ? celle de l’art et de l’éducation – illustre un engagement profond, patient et généreux envers la culture. Elle s’inscrit parmi ces créatrices discrètes mais fondamentales, dont l’action sur le terrain façonne des générations, cultive l’excellence et irrigue le champ artistique national par une pédagogie du respect et de l’authenticité.

Formée dans les institutions les plus prestigieuses de la capitale française ( l’École Duperré, l’École des Beaux-Arts de Paris et la Faculté Saint-Charles de la Sorbonne) , Sabiha Kadmiri aurait pu choisir une carrière exclusivement internationale. Elle fait pourtant le choix de revenir au Maroc, portée par une conviction fondatrice : l’art doit se partager. Cette orientation, loin d’être une simple déclaration d’intention, structure l’ensemble de son parcours. Il s’agit d’une éthique en acte, où la création n’est jamais dissociée de la responsabilité de transmission.

Très tôt, dès l’âge de 26 ans, elle commence à enseigner dans plusieurs institutions de renom à Casablanca : l’École Supérieure des Beaux-Arts ( ESBAC) , Art’Com, l’EAC, mais aussi l’Académie des Arts Traditionnels. Ce choix d’un retour au pays natal pour y exercer une activité pédagogique témoigne d’une fidélité aux origines, mais surtout d’une volonté d’enrichir le tissu artistique local par les outils d’une formation exigeante et cosmopolite. Enseigner, pour  Sabiha Kadmiri, ne consiste pas à reproduire ou à transmettre mécaniquement un savoir figé, mais à éveiller les consciences, à former des regards, à aiguiser des sensibilités. Loin de tout dogmatisme, sa pédagogie repose sur une rigueur bienveillante, une attention constante à l’élève, une exigence d’authenticité.

Exigence éthique

Sa vision de l’éducation artistique prend également en compte la précocité des éveils esthétiques. Consciente que la sensibilité à l’art naît souvent dès l’enfance, elle élargit son champ d’action au-delà des établissements spécialisés pour initier aussi bien les élèves des missions française et espagnole que ceux des écoles publiques marocaines à la richesse des techniques artistiques traditionnelles. En cela, elle participe à la démocratisation de l’accès à l’art, tout en veillant à transmettre des gestes, des savoir-faire et des héritages précieux, aujourd’hui menacés d’effacement.

Artiste accomplie, Sabiha Kadmiri développe parallèlement une œuvre plastique d’une grande subtilité, qui oscille entre le figuratif et l’abstraction. Cette tension féconde entre le visible et l’implicite constitue l’un des axes les plus singuliers de sa pratique. Son premier tableau exposé – un portrait vibrant d’une femme du Sud marocain – témoigne d’une attention fine au réel et à l’identité, mais aussi d’une capacité à transcender l’anecdote par la forme. Il inaugure un itinéraire jalonné d’expositions tant au Maroc qu’à l’international, où sa démarche artistique a su trouver des échos sensibles auprès de publics variés :  «  Ce qui frappe dans l’œuvre de  Sabiha  Kadmiri, c’est sa sincérité : elle ne cherche ni l’effet, ni la séduction immédiate, mais explore une palette de perceptions où la matière, la ligne, la lumière dialoguent dans une tension équilibrée. Elle privilégie le silence des formes à la démonstration, la sobriété expressive à la virtuosité gratuite. Cette esthétique du juste milieu traduit un regard maîtrisé, profondément médité, où l’artiste semble en quête d’une vérité intérieure, d’une justesse du geste », affirme Dr. Abdellah Cheikh, critique d’art.

 Et d’ajouter : «  Mais plus encore que par ses œuvres, c’est peut-être par son attitude face aux aléas de la vie artistique que Sabiha Kadmiri marque sa singularité. Dans un univers souvent dominé par la précarité, l’instabilité des opportunités, les injonctions au succès et les pressions institutionnelles, elle a su maintenir une trajectoire fidèle à ses valeurs. Elle n’a jamais cédé aux compromis ni aux séductions éphémères. Chaque difficulté rencontrée est, pour elle, une occasion de raffermir sa détermination, d’approfondir sa réflexion, d’affiner son langage plastique. En ce sens, elle incarne cette force discrète des artistes qui transforment l’adversité en tremplin poétique et en maturation de soi ».

Dans son enseignement, elle transmet plus qu’un savoir-faire : elle partage une ligne de conduite, une posture existentielle face à la création et à la vie. À ses étudiants, elle répète inlassablement un credo devenu signature :

« Rester soi-même et s’imposer, envers et contre tous, dans le respect de soi et celui des autres».
Ce précepte, loin d’être une formule vide, est l’aboutissement d’un chemin éthique et esthétique, où la fidélité à soi-même est indissociable d’une exigence d’intégrité envers les autres et le monde.

Ce message de résistance douce, mais ferme, aux injonctions normatives et aux logiques de rentabilité artistique, résonne fortement dans le contexte actuel. Il constitue un héritage précieux pour les nouvelles générations, souvent tentées par la quête rapide de reconnaissance.  Sabiha Kadmiri leur enseigne, par l’exemple, que l’essentiel n’est pas dans la conformité, mais dans la constance ; que la légitimité ne se cherche pas dans les applaudissements, mais dans le travail silencieux et sincère.

Ainsi, Sabiha Kadmiri est bien plus qu’une artiste : elle est une passeuse. Une femme dont le parcours tisse des ponts entre les traditions et la modernité, entre les écoles et les ateliers, entre la rigueur académique et la liberté intérieure. Elle agit comme un trait d’union entre l’art et la société, entre la main et l’esprit, entre l’acte de créer et celui de transmettre. Loin des projecteurs tapageurs, son œuvre est un fil d’or discret mais solide dans le tissu culturel du Maroc.

Il serait donc réducteur de tenter d’encercler son parcours en un nombre fini de mots. Comme l’indique avec justesse la dernière phrase du texte d’origine : « Ni 300, ni 500, ni même 1000 mots ne sauraient à eux seuls saisir la profondeur de son parcours et l’éclat de sa réussite ».
Car ce que déploie Sabiha Kadmiri, c’est une forme d’« aura » pédagogique et artistique qui ne se mesure ni en chiffres, ni en distinctions visibles. C’est une œuvre-vie, au sens plein du terme, où chaque tableau, chaque geste d’enseignement, chaque parole partagée contribue à façonner un imaginaire collectif plus vaste, plus généreux, plus attentif à la beauté des êtres et des formes.

Zainab Wahidi (étudiante à l’ESBAC)