« Les sondages d’opinion publique au Maroc : outils efficaces de promotion des partis politiques ? »

Par Docteur Younes Bechbouch
Résumé :
Nul ne peut nier que la période des élections suscite une suractivité remarquable au sein de toutes les formations politiques au monde entier. Il s’agit, en effet, d’un examen auquel participent tous les partis politiques dans l’intention de se classer premiers pour gouverner ou participer au gouvernement du pays. Pour ce faire, ils se préparent ardemment et consacrent un budget énorme pour les campagnes électorales. Or, la communication menée par les partis politiques pendant cette période s’avère différente de la communication faite en période hors élections.
Bien que le marketing politique soit récent, il est fort pratiqué lors des élections dans les grandes démocraties du monde entier. Il obéit à une démarche scientifique minutieuse qui commence par l’étude du marché et finit par la mise en place d’une stratégie efficace de la communication politique. La première étape du marketing politique qui est l’étude du marché ou l’étude de l’électorat s’avère déterminante dans la mesure où elle permet de préciser les besoins des prochains électeurs, et aussi d’étudier leur perception du parti politique, et par là, il sera facile de concevoir des stratégies pour une campagne efficace et moins onéreuse.
Au cours de mon stage au sein du Parti su Progrès et du Socialisme lors de la campagne des élections communales de 2015, j’ai pu remarquer que cette étape préliminaire n’était pas respectée, ni prise en considération par les responsables de la communication au sein du parti. J’avoue que la campagne électorale du Parti était globalement irréprochable et faisait appel aux techniques de communication les plus utilisées, mais s’il avait opté pour des sondages d’opinion publique privés, il aurait mis en œuvre une stratégie segmentée lui permettant, d’une part, de minimiser les charges et épargner les efforts, et d’autre part, de répondre au mieux aux attentes des électeurs.
Mots clés :
Baromètre politique -Campagne électorale -Démarche marketing -Intention de vote -Marketing politique -Parti politique -Positionnement -Segmentation -Sondage d’opinion publique -Stratégie de communication
Les élections sont le révélateur qui dévoile, clairement, la valeur de chaque parti aux yeux des citoyens. Il s’agit de la voix du peuple qui détermine le parti qui serait son porte-parole. Ainsi, chaque parti ayant la majorité lors d’une élection ne tarde pas à prétendre, avec un ton vaniteux, refléter l’opinion publique. C’est pourquoi, tous les partis politiques se battent, férocement, pour persuader le maximum possible des électeurs. Celui qui parviendra à séduire la majorité des électeurs s’imposera comme leader sur la scène politique, et se permettra ainsi de gouverner le pays. Pour ce faire, tous les partis politiques se préparent, hautement, et s’investissent, pleinement, lors de la campagne électorale. Cette dernière demeure une étape décisive pour chaque parti pour gagner du terrain. Elle nécessite une communication plus intense et très différente par rapport à la communication faite en période normale. Il s’agit d’une communication qui relève du marketing politique, dont l’objectif extrême, selon Jean-Paul Bobin, est d’assurer l’élection d’un candidat et mettre en pratique des interactions entre le candidat et l’électorat, par l’intermédiaire de la campagne électorale. (Jean Paul Bobin, 1988 : 34)
- Le marketing politique
- Essai de définition
D’après son nom, il convient de dire que le marketing politique s’apparente beaucoup au marketing commercial. Il s’inspire beaucoup de ses principes, de ses techniques et de ses outils. Le second vise à faire valoir un produit commercial, tandis que le premier tend à promouvoir un produit politique (candidat ou parti). Le second cible les citoyens-consommateurs pour acheter, le premier cible les citoyens-électeurs pour voter.
Ce qui différencie le marketing politique du marketing commercial, selon Jean-Paul Bobin, c’est que dans le second cas il s’agit d’une stratégie de parcours, tandis que pour le marketing politique c’est une stratégie de rendez-vous. Ce n’est pas tous les jours qu’il faut vendre le produit, mais un seul jour, celui de l’élection. A cet égard, la sanction du marketing politique est beaucoup plus nette. (Jean Paul Bobin, 1988 : 26 )
Pour définir le marketing politique, Bongrand, l’un des premiers à avoir importé ce concept en France, souligne qu’il s’agit d’un ensemble de techniques ayant pour objectif de favoriser l’adéquation d’un candidat et de son électorat, de le faire connaître à un plus grand nombre d’électeurs et, par chacun d’entre eux, créer la différence avec les adversaires, et avec un minimum de moyens, optimiser le nombre de suffrages qu’il importe de gagner lors de la campagne pour remporter une élection. (M. Bongrand, 1985)
D’autre part, c’est Denis Lindon qui donne une des meilleures définitions du marketing politique. Il déclare qu’il s’agit d’:
Un ensemble de théorie et de méthodes dont peuvent se servir les organisations politiques et les pouvoirs publics à la fois pour définir leurs objectifs et leurs programmes et pour influencer les comportements des citoyens (Denis Lindon, 1976).
D’après ce qui précède, il s’avère clairement que le marketing politique intervient dans un moment très court et pour un objectif précis et clair qui est la promotion du Parti ou du candidat lors d’une élection.
- Démarches marketing
A la manière du marketing commercial, le marketing politique propose aux partis et aux candidats l’adoption d’une démarche marketing.
Nombreux sont les chercheurs qui ont conçu des démarches de marketing politique, qui diffèrent au niveau de l’appellation des étapes, mais se ressemblent au niveau du fond.
Je vais essayer d’étaler quelques exemples de démarches, et je vais me focaliser, surtout, sur la première étape qui ferait l’objet de la problématique que j’ai soulevée lors de mon stage au siège central du PPS.
- Selon kotler et kotler
Cette démarche se compose de six étapes principales :
- La recherche environnement
L’environnement est l’électorat que vise tout parti politique à persuader. Il faut, ainsi, l’étudier pour estimer ses chances et les menaces auxquelles il pourrait faire face.
- L’analyse de l’évaluation interne et externe
Le parti doit évaluer ses forces et faiblesses, celles de l’organisation de sa campagne à toutes les phases de développement. L’évaluation externe implique l’identification des forces et faiblesses des partis adversaires dans la campagne.
- Le marketing stratégique
Le parti doit se positionner par rapport aux segments d’électeurs et aussi par rapport à ses opposants.
- La fixation des objectifs et stratégie de campagne
Cette étape implique le développement d’objectifs et de buts précis que le parti pourrait viser en déterminant comment progresse sa campagne, quelles sont les faiblesses et les zones de retard, et comment y remédier.
- La communication, la distribution et l’organisation de campagne
La cinquième implique le marketing tactique et l’utilisation des outils marketing mix tels que le produit et la communication qui sont largement utilisés dans le marketing commercial. A ce niveau, le candidat doit trouver la façon la plus efficace et la plus efficiente pour allouer les ressources de l’organisation de la campagne.
- Clé du marché pour le candidat : électeur-donateurs-médias
Le candidat doit concevoir le plan de l’exposition aux médias et à la publicité.
- Selon Albouy
- Une phase d’observation de l’opinion et du public afin de connaître l’état de « la demande »
- Une phase de définition de « l’offre » en fonction de la demande et de l’environnement concurrentiel.
- Une phase communicationnelle, pour assurer la promotion persuasive de « l’offre » ainsi déterminée (S. Albouy, 1994).
- Selon Baines
La première étape consiste à collecter les données sur les électeurs dans les circonscriptions, et conduire des recherches sur le marché politique au niveau des attitudes des électeurs, leurs opinions, leurs espoirs, leurs désirs afin de déterminer qui, dans les circonscriptions, est susceptible de changer son soutien pour un candidat ou pour un parti vers un autre. (P. R. Baines, 1999)
- Selon Maarek
La première étape consiste en l’analyse de l’état des destinataires de la campagne par le biais d’enquêtes d’opinion et de sondages (Philippe Maarek).
- Selon Newman
Il intitule la première étape de la démarche qu’il propose la segmentation du marché qui consiste en l’évaluation des besoins des électeurs ainsi que la détermination de leur profil.
De toutes ces démarches proposées, il est tout à fait naturel de faire une étude préalable de l’état de l’électorat en recourant à des sondages d’opinion.
- Sondage d’opinion et marketing politique
Toutes les démarches de marketing politique proposées ci-dessus suivent presque les mêmes étapes. Autrement dit, chaque parti ou candidat, lors d’une campagne électorale, doit respecter, scrupuleusement, toutes les étapes pour pouvoir atteindre, parfaitement, les résultats qu’il avait tracés. La première étape consiste toujours à tester l’électorat, c’est-à-dire sonder l’opinion publique pour savoir, d’une part, ses besoins et ses préférences, et d’autre part, pour savoir comment il est perçu par les électeurs.
Le moyen le plus efficace pour diagnostiquer son image auprès du peuple est le sondage d’opinion publique. Les sondages sont devenus l’une des bases du marketing politique. Ils remplissent une fonction d’information du public, et une fonction d’assistance stratégique auprès des candidats. En effet, il s’agit d’un véritable baromètre de la vie politique, ils ont une influence dominante dans les stratégies de communication. Ils sont révélateurs de la notoriété et de la cote de popularité des hommes et des partis politiques.
Dans les pays occidentaux où l’industrie des sondages a beaucoup prospéré, les médias commanditent, régulièrement, des sondages d’opinion pour, d’une part, tester l’opinion publique par rapport à l’action gouvernementale, et à la prestation des partis de l’opposition, et d’autre part, pour pronostiquer les candidats qui pourraient gagner lors d’une élection, que ce soit présidentielle, législative ou communale. Ces médias voient que l’opinion est devenue un acteur central de la société auquel il faut donner une voix par l’intermédiaire de la publication de sondages.
En plus des médias, l’Etat, aussi, est un client important de l’industrie du sondage. Il semble en effet normal que l’administration se préoccupe de connaître les opinions et les attentes des citoyens, consommateurs de ses services. (Roland Cayrol, 2011 : 24)
Ces études d’opinion sont généralement privées et non publiées servant à mieux appréhender ce qui se passe dans l’imaginaire des citoyens-électeurs, et ce qui fonde leurs opinions, leurs attitudes, leurs choix et leurs comportements. A cet égard, Hugues Cazenave atteste que :
Les études d’opinion non publiées sont commandées en général par les pouvoirs publics, les administrations, les institutions, ainsi que les partis politiques ou encore les collectivités locales. Beaucoup de fantasmes entourent ce type d’études. Et pourtant, la plupart d’entre elles n’ont pas ou quasiment pas de rapport avec la vie politique et ne visent qu’à mieux comprendre les citoyens pour préparer la prise de décision et l’action (Hugues Cazenave, 2011 : 18).
Pour révéler la vertu des sondages par rapport aux hommes politiques, Alain Lancelot note que le sondage fait connaître à tout moment la réaction des citoyens, mais il n’a pas de portée politique directe. Le gouvernant tire d’un mauvais sondage la leçon qu’il veut en tirer, ou bien il persiste dans la voie choisie –en tenant, le cas échéant, de mieux expliquer sa politique – ou bien il infléchit son action pour tenir compte des réactions de ses mandants (Hugues Cazenave, op. cit).
D’autre part, Roland Cayrol, un politologue français et ex-directeur de l’institut de sondages CSA, ne manque pas de souligner que :
Le sondage fournit à ses clients des éléments d’information irremplaçables dans la construction de leur stratégie, notamment de communication (Roland Cayrol, 2011 : 105).
Comme je l’ai souligné avant, il existe une partie très importante de partis politiques qui commandent aux sondeurs des études destinées à rester confidentielles pour s’en servir dans l’élaboration, par la suite, de leur stratégie et de leur politique de communication, notamment, lors des campagnes électorales.
Phase incontournable de toute démarche de marketing politique, les sondages d’opinion permettent aux partis politiques de mieux se positionner par rapport aux besoins des électeurs. Toute la stratégie de communication – pour reprendre ce qu’avait dit Roland Cayrol- est fondée suite aux résultats de ces sondages. Elle est conçue en fonction des besoins et des attentes des citoyens. Ces attentes ne sont pas les mêmes chez tous les individus. Elles diffèrent selon l’appartenance sociale, le sexe, l’âge, le lieu de résidence des citoyens. Ainsi, ce sont les sondages qui permettent de découper l’électorat en des groupes homogènes, chacun ayant les mêmes attitudes, les mêmes opinions et les mêmes attentes. Il s’agit, en fait, d’un processus nommé « la segmentation ».
Cette segmentation permet aux partis politiques, lors d’une campagne électorale, de se positionner par rapport à chaque segment, c’est-à-dire, de mener une stratégie de communication diversifiée, visant toutes les cibles (segments) et prenant en considération les spécificités et les besoins de chaque catégorie.
- Les partis politiques au Maroc et la pratique sondagière : cas du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS)
L’industrie des sondages d’opinion publique d’ordre politique au Maroc semble très modeste pour ne pas dire quasi-absente. Si l’on remarque la scène politique, on constate l’existence de quelques baromètres établis par des associations (TIZI) et parfois par quelques supports médiatiques. Quant aux partis politiques, ils ne trouvent pas intérêt dans l’organisation de sondages d’opinion publique. Or, quelques partis qui se voient favorisés par les résultats de ces baromètres politiques ne tardent pas à les exploiter dans un but de propagande ; par contre, les partis qui se trouvent matraqués par ces baromètres doutent que ces sondages soient fiables vu qu’ils ne sont pas organisés par des instituts agréés et reconnus pour leur crédibilité scientifique.
De ce qui précède, il semble clair que les partis politiques ne font pas appel aux sondages lors de leur campagne électorale. Je précise qu’il s’agit de sondages privés dont les résultats ne sont pas publiés et dont l’objectif est de savoir si le parti en question fait l’objet d’un rejet ou d’une sympathie et d’en savoir les causes, de savoir à l’avance qui pourrait remporter la victoire dans une commune afin de privilégier un certain candidat ou d’en éliminer un autre…
Ce constat m’était confirmé lors d’une période de stage que j’ai effectuée au sein du Parti du Progrès et du Socialisme. Cette grande institution politique ne fait pas l’exception des autres formations politiques marocaines. Ses responsables de communication avouent n’avoir jamais recouru aux sondages d’opinion publique. Même lors des élections communales, ses responsables n’ont, en aucun moment pensé à introduire cet outil dans leur démarche.
En effet, les responsables de communication du Parti ne voient aucun intérêt ni aucune valeur ajoutée dans cet outil étant donné que tous les autres partis ne s’en servent pas, d’autant plus qu’il est trop onéreux et dépasse les moyens du Parti.
Bibliographie :
ALBOUY, S. (1994), Marketing et communication politique, éd. L’Harmattan, Paris
BAINES, P. R. (1999), Voter segmentation and candidate positioning, in Bruce I. Newman ed. Handbook of political marketing. ThousandOaks, CA
BOBIN, J. P. (1988), le marketing politique vendre l’homme et l’idée, Paris, édition Milan midia
BONGRAND, M. (1985), Le Marketing politique, Paris, PUF
CAYROL, R. (2011), Opinion, sondages et démocratie, Paris, éd. Presses de Sciences Po
CAZENAVE, H. (2011), La Guerre des sondages, Paris, éd. Michalon
LINDON, D. (1976), Le Marketing politique et social, Edition Dalloz
MAAREK, P. Communication et marketing de l’homme politique moderne, Paris, éd. Litec
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