« World Unseen » ou quand l’image se prête au toucher

Dans le monde de la photographie, souvent perçue comme un domaine purement visuel, l’accessibilité prend une connotation aux dimensions multiples pour les malvoyants. Et si l’image n’était plus seulement une affaire de regard ?

C’est précisément le pari qu’a tenté de relever à bras le corps l’exposition « World Unseen », qui se tient à Paris du 20 mai au 6 juin, quelques jours après la Journée mondiale de l’accessibilité, célébrée le 18 mai.

Cette exposition ambitionne, selon ses initiateurs, de repenser complètement la façon de présenter une œuvre photographique, dans l’objectif de permettre à chacun, quelle que soit sa capacité visuelle, de vivre une expérience artistique riche et autonome.

Grâce à un logiciel spécifique, cette technologie est mise au service de l’accessibilité artistique pour les personnes déficientes visuelles. De même, une agence de design s’est chargée de l’impression des œuvres et de la transcription tactile des images, tout en accompagnant la conception du parcours de l’exposition.

Chaque photographie exposée est imprimée en relief, accompagnée de légendes en braille, de descriptions audios accessibles via un QR code et des supports pédagogiques qui expliquent les principales pathologies visuelles.

Les visiteurs, les personnes aveugles ou malvoyantes en l’occurrence, peuvent ainsi explorer l’image par le toucher, l’ouïe et l’imagination et accéder, en même temps, à l’univers mystérieux de la photographie, grâce à des approches qui donnent à l’image des voix, des textures, des formes sensibles autrement.

Cette expérience tactile et auditive va certes au-delà de l’accessibilité fonctionnelle, dans le sens où elle redonne une voix à des publics souvent négligés dans les institutions culturelles, mais elle permet également de libérer la photographie de ses codes traditionnels pour s’ouvrir à de nouveaux langages.

« Pour une fois, je peux vivre une exposition sans dépendre de quelqu’un. J’ai pu +voir+ les photos avec mes mains, les entendre avec mes oreilles. C’est une liberté rare », a confié à la MAP Khalid, qui souffre d’une déficience visuelle.

C’est que l’aspect émotionnel est aussi au cœur de la démarche des photographes présentés, a-t-il poursuivi avec une émotion palpable, soulignant que les œuvres de grands noms comme Brent Stirton, Nikos Aliagas, Yagazie Emezi ou encore du regretté Sebastião Salgado, récemment disparu, étaient exposées.

Leurs clichés, choisis pour leur puissance narrative, racontent des fragments du monde qui prennent une tout autre dimension lorsqu’ils sont transmis sans passer par le regard, a-t-il expliqué.

Avec ce genre d’initiatives innovantes, les clichés se transforment en expériences multisensorielles. On ne regarde plus seulement une photo, on la vit. On est en présence d’un mouvement discret, mais puissant, vers une culture plus ouverte, plus juste, plus inclusive.

« J’ai grandi avec l’idée que la photo n’était pas pour moi. Ici, j’ai découvert que je pouvais toucher une image, la ressentir. C’est une émotion nouvelle que je n’oublierai jamais », témoigne pour sa part Rachid, visiteur malvoyant.

Présentée pour la première fois sur le continent africain à l’occasion du salon GITEX Africa 2024 à Marrakech, « World Unseen » a permis à des visiteurs voyants et non-voyants de vivre une expérience commune, dans un même espace, sans hiérarchie sensorielle.

Conçue en collaboration avec la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France, Okeenea et Tactile Studio, cette exposition a marqué les esprits en tant qu’espace de partage ayant démontré que l’art peut être un puissant vecteur d’égalité et de renforcement des liens sociaux.

Son franc succès confirme que l’inclusion culturelle n’est pas une faveur, mais un droit. Rendre l’art accessible à tous, c’est aussi rappeler que chaque citoyen a le droit de s’émouvoir, de s’exprimer et de participer à la vie artistique du pays.

Par SAID BAHAJJI (MAP)